REVOLHT

Poursuite des activités du regroupement REVOLHT qui réunit 14 communes contre le dossier Boucle du Hainaut, du géant de l'électricité Elia.

Pour suivre l'actualité de notre action principalement orientée vers le Gouvernement, et visant à défendre l'environnement, le paysage, la santé, le secteur agricole et le patrimoine d’une région entière, retrouvez-nous sur www.revolht.be

 
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Guerre aux démolisseurs

En 1825, confronté aux saccages des monuments emblématiques de la France, Victor Hugo publie un pamphlet, qu'il actualise quelques années plus tard, sous le titre « Guerre aux démolisseurs ». Ce « vandalisme » avait déjà été dénoncé un peu plus tôt par l'abbé Grégoire qui en 1793 en invente le terme, pour dénoncer les destructions commises en dépit du respect dû aux « objets nationaux, qui, n’étant à personne, sont la propriété de tous ». C'est dans le sillage de la Révolution que cette prise de conscience se répand en instillant dans les consciences la nécessité du patrimoine. Au même moment, les biens confisqués à l’Église, puis à la noblesse et à la Couronne, plutôt que de disparaître dans l'indifférence, acquièrent le statut de « biens nationaux » : ils sont le patrimoine de la Nation qui a désormais la responsabilité de choisir ce qui mérite d’être transmis aux générations futures. Participant de cet intérêt naissant pour l'héritage monumental du passé, à préserver pour transmission, Hugo se fait le virulent défenseur des monuments qui constituent à ses yeux rien de moins que l’âme et l’histoire d’un pays. La question qu'il pose, à l'aube du XIXe siècle, alors qu'il n'a encore que 23 ans, est celle-ci : quelle place accorder à la protection du passé dans une époque obsédée par le progrès industriel ? Retenons ces mots, et faisons-les résonner, encore : « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait, qu’on la fasse ».

Dans le courant du XXe siècle, l'effort de la patrimonialisation, étendu à tous les domaines, par-delà le seul « monument », s'est mué en une urgence voire une obsession, signe d'un temps qui voit se normaliser et se précipiter le process de la destruction, dommage direct ou collatéral des activités humaines, dont l'exploitation des ressources naturelles, leurs transformations et transports, à l'échelle macro : bienvenue dans l'ère de la globalisation et de la croissance à tout prix ; l'âge, dit-on, de l'anthropocène.

Aussi, la nature elle-même est devenue patrimoine, ce bien dont on hérite, à préserver voire à restaurer : écosystèmes et spécificités naturels, formations géologiques, zones d’habitat d’espèces animales et végétales menacées, sites naturels présentant un intérêt sur le plan scientifique ou en termes de beauté naturelle... Engagée dans une course contre la montre, l'humanité se mesure aux défis systémiques que lui lègue la modernité, qu'animait la foi dans le progrès cultivé par un homme positiviste et techniciste, « maître et possesseur de la nature ».

Mais aux promesses du progrès moderne succède le désenchantement post- ou hyper-moderne. Quel qu'en soit le nom, notre modernité avancée entretient comme dans un état d'inertie l'accélération qui la porte, précipitant la fuite aveugle d'un présent sans avenir. Nos sociétés semblent empêtrées dans leur complexité systémique : tant d'interrelations à considérer entre éléments d'un ensemble que l'on peine à ordonner durablement. La prise en compte de ces éléments, qui mériteraient une gestion et une manœuvre (le gouvernement comme art) mature et sage, est ce qu'on appelle l'écosophie, articulation des écologies environnementale, sociale et mentale, seule manière de remédier collectivement à la détérioration qui affecte simultanément l’intelligence, la sensibilité, les modes de vie individuels et collectifs dans nos environnements multiples.

Chaque jour, nous sommes confrontés à la réalité de faits attestant de cette difficulté croissante de faire face aux défis de notre époque, sans dégrader davantage ce monde déjà sévèrement abîmé. La Boucle du Hainaut est un cas parmi tant d'autres qui rappelle l'incapacité pour nos collectivités à développer des solutions d'avenir respectueuses et conçues dans une logique systémique. Elle manque à la nécessité de l'intelligence systémique, du moins dans sa conception. Ce que la Boucle a catalysé, alors, c'est un incroyable sursaut de résistance, portée par l'intelligence collective. Résistance dans le double sens d'une force s'opposant à une autre (principe tant physique qu'idéologique), et d'un mouvement organisé en lutte contre l'occupation. Par-delà leurs différences, ce sont des milliers de citoyens qui se sont engagés dans un mouvement de résistance visant à contrer la bêtise industrielle des solutions inadaptées, imposant un monde peu enviable, le faisant passer pour inévitable. Cette prise de position et l'action collective qu'elle entraîne relèvent, plus que d'une levée de boucliers, d'une véritable prise d'armes.

Le projet que se donne le mouvement REVOLHT n'est pas tant une défense des intérêts régionaux, dont il nous appartient de protéger le patrimoine, les populations, les environnements et cadres de vie, qu'une entreprise de démystification des sociétés et institutions technocratiques portées par des intérêts discutables ou, pour le dire plus honnêtement, condamnables.

REVOLHT souffle par-delà les frontières communales, provinciales et régionales : il est un vent de colère qui dit l'inacceptable et refuse la soumission aux entreprises privées qui sous prétexte de la croissance (devenu synonyme de bienfait sociétal) – et pire, pour certaines, d'utilité publique – imposent des modèles de développement contraignant et dommageable, dans une logique impérialiste. C'est aussi un refus unanime des aveuglements politiciens, parfois volontaires (primauté des intérêts économiques, choix de l'option logistique ou structurelle la plus rapide ou moins coûteuse, et autres prétextes justifiant le pire), parfois non (méconnaissance du fond du dossier, manque d'anticipation, d'étude et d'analyse).

Apolitique, REVOLHT appelle, par-delà les considérations de couleurs, au ralliement des hommes et femmes de bon sens afin de préserver l'essentiel, à savoir le bien-être des populations (humaines et non-humaines) et leurs territoires, tant naturels que culturels, plutôt que de se soumettre aux logiques industrielles dépassées qui, aveuglées par la nécessité du « toujours plus », justifient par des montages chiffrés et alarmistes (« Voyez ces tableaux ! Ils sont la vérité : ce monde qui sature, demain, ne sera pas assez ! ») le cauchemar de lendemains immondes.

En ce sens, si les citoyens se mobilisent par dizaines de milliers, ce n'est pas tant pour défendre des intérêts personnels que pour initier et mener un mouvement qui excède toute satisfaction privée et immédiate. Ce que ces citoyens mènent, par dizaines de milliers et pour le bien commun, c'est une guerre aux démolisseurs.

Car qu'est-ce qu'une dégradation volontaire d'un bien, d'un patrimoine (dans son sens étendu : ce dont on hérite, en ce compris les cadres naturels et culturels), sinon du vandalisme ? Pire, la dégradation des environnements, de la santé (physique, psychologique), de l'immobilier, du patrimoine et de l'attractivité des régions est une démarche assassine. Bien sûr, on pourra toujours justifier la démarche en la prétendant nécessaire, mais le sacrifice n'adoucit pas l'assassinat. Justifier la cardiectomie (technique rituelle de sacrifice humain consistant à extraire le cœur, encore palpitant, de la cage thoracique) par une offrande aux dieux n'enlève rien à la souffrance du supplicié, ainsi assassiné. Et quand le massacre se déguise en charité (perpétré à tort pour « le bien de tous » – l'utilité publique), il est doublement condamnable, car pervers (rappelons la justification psychologique du sacrifice et son ambiguïté, en ce qu'il assurerait la cohésion et la pérennité du groupe protégé de toute « violence intérieure », évacuée par des rites magico-religieux).


Il nous faut par ailleurs défendre, avec toute l'ardeur possible, la nécessité du paysage. Le paysage est une notion complexe : il est un mélange de populations végétales, d’habitat faunique, de patrimoine (immobilier, industriel...), de pratique agricole et d'infrastructures techniques, entre autres aspects, à la croisée de l'urbanisme, de l'industrie, de l'écologie, de l'esthétique et de l'éthique environnementale. La nature complexe de l'approche paysagère implique d'intégrer l'ensemble de ces aspects, au risque d'échouer dans une démarche qui se voudrait qualitative. Par-delà les premières significations de cette notion, principalement héritée du domaine des Beaux-Arts, le paysage est devenu une science et une pratique – consciente ou non, toute activité humaine ayant une incidence sur le cadre paysager. Nos universités et écoles supérieures enseignent cette connaissance et cet art. Comment est-il possible de considérer la question paysagère comme étant inessentielle ? Faire paysage, c'est designer l'environnement. Cet environnement étant partagé et vécu, il participe du socius et de l'expérience ordinaire : il est le lieu d'un partage du sensible.

Les signes se multiplient d'un nouveau rapport aux environnements habités, qu'ils soient urbains ou ruraux, ouvrant des horizons nouveaux à la pensée du paysage et à sa conception. Le paysage serait « une donnée constitutive et ineffaçable de la vie individuelle et sociale » (J.-M. Besse, La nécessité du Paysage) ; en d’autres termes, on ne saurait vivre sans paysage, puisque celui-ci « fait partie de nos vies et il en est une condition et une dimension constitutive ». Telle serait la raison de sa « nécessité », qu’il faut donc entendre en un sens existentiel et ontologique, par-delà les enjeux psychologiques du bien-être ou les critères esthétiques de la beauté, par exemple.

Les métastructures existantes (l'enchevêtrement des systèmes économico-politiques) sont actuellement incapables de répondre au plus grand défi de l'humanité (la soutenabilité), se contentant de multiplier des concepts inopérants comme ceux de durabilité ou de transition. Nous ne dépasserons pas cette crise sans procéder à un renouvellement de la pensée, en vue d'un nouveau paradigme, une intelligence vraiment systémique, relationnelle, ni sans mettre en cause tant la façon dont, à la racine, on interprète et abuse de la productivité (le productivisme) et de son corollaire l'énergie, que les modes de consommations et usages qui les accompagnent, moteurs du mythe et mirage de la croissance.

Il y a urgence de transformer notre architecture de pensée. Seule l'intelligence systémique pourra relever le challenge que représente le monde de demain, qui est déjà le monde d'aujourd'hui. La systémique (du grec systema, « ensemble organisé ») préconise une vision macroscopique du monde qui substitue à l’analyse de chaque élément d’un ensemble une conception de l’ensemble en envisageant des relations existant entre chacun de ses éléments, favorisant une approche transdisciplinaire fondée sur les interactions et les interdépendances. L’approche systémique, centrée sur les concepts de structure, d’information, de régulation, de totalité et d’organisation, suppose une attitude relationnelle et une approche transdisciplinaire, posture scientifique et intellectuelle qui se situe à la fois entre, à travers et au-delà de toute discipline, favorisant le dialogue entre les sciences, tant exactes qu’humaines. Ce système de pensée est ce que l'on nomme l'épistémologie complexe : il nous faut penser « en relation ».

Car le débat est d'abord intellectuel : il porte sur des visions, des représentations du monde. Le sujet divise, car chacun l'appréhende selon un certain biais (cognitif). Entre les représentants de l'illusion techno-optimiste, les faiseurs de profit, les techno-sceptiques et les environnementalistes, les lectures du dossier sont toujours orientées en fonction de connaissances, de croyances et d'intérêts.

Par contre, par-delà le débat de fond sur la nécessité de cette liaison et sur le modèle d'un « super grid » européen (grille transnationale de distribution grâce à laquelle l'électricité sera une commodité échangée par-delà toute frontière, offrant des opportunités nouvelles de business avec pour effets souvent ignorés : risque de faillites des entreprises productrices d'électricité plus faibles, dépendance géopolitique, effets pervers pour les pays trop dépendants, ombrage aux plus sobres projets de production d'énergie localisés, etc.), ce qu'on ne peut ignorer et nier, c'est que la solution proposée par Elia est envahissante, irrespectueuse, dommageable, destructive.

Le projet actuel ne respecte pas les termes de l'accord du Gouvernement wallon dans sa Déclaration de politique générale (septembre 2019), laquelle obligeait Elia à limiter autant que possible l'impact négatif sur les paysages et l'environnement, notamment au niveau des champs électromagnétiques. Ce dossier est en échec sur des points fondamentaux : évitement des zones d’habitats, respect des critères environnementaux et patrimoniaux, regroupement sur des infrastructures existantes, évitement de sites SEVESO et aéroports. En effet, sans le moindre souci des contraintes imposées, pour réduire les coûts de son infrastructure et assurer des délais de chantier rapides, le projet Boucle du Hainaut déposé par Elia croise sans évitement : écoles maternelles, primaires, et milliers d'habitations (explosion des cancers pédiatriques à prévoir : le lien statistique est avéré, et admis par Elia), fermes, élevages, crèches, corridors écologiques, réserves naturelles, biens classés au patrimoine (églises, châteaux...), points et lignes de vue remarquables, zones d'exploitations agricoles, gîtes, conduites de gaz très haute pression, zoning économiques, refuges pour animaux, aéroport, site SEVESO...

Par ailleurs, le Code du Développement Territorial insiste sur le développement durable et attractif du « territoire » pour lequel la modification du plan de secteur est demandée. Or, le territoire concerné par la Boucle du Hainaut ne sera pas bénéficiaire (il n'est pas directement desservi mais traversé) mais victime : secteur agricole touché, gâchis paysager, risques sanitaires, patrimoine, immobilier, etc. Ce projet participe donc d'une dévaluation à de nombreux points de vue : il rend le territoire inattractif. La Boucle du Hainaut est donc en inadéquation avec les critères définis par le Code du Développement Territorial.

Rappelons que les pouvoirs communaux des 14 communes concernées, toutes couleurs confondues, ont exprimé un avis négatif ou de ferme opposition au projet, relayés par 22.000 courriers citoyens et mobilisations diverses, dont visites ministérielles. Ces innombrables voix alertent sur ces dommages et infractions, le non respect des précautions et l'inadéquation avec le code du développement territorial. Pour ces raisons, il nous semble inconcevable d'accéder à la demande de modification du plan de secteur.

Aussi faut-il faire la part des choses entre le débat portant sur l'utilité et l'intérêt de cette Boucle et le dossier déposé par Elia qui concerne la modification du plan de secteur. Refuser ce dossier n'est pas refuser l'existence d'une infrastructure permettant de résoudre, d'optimiser ou de compléter le réseau de distribution d'énergie. Ce que REVOLHT refuse sans nuance ni compromis, c'est l'infrastructure que souhaite implanter Elia, telle que projetée dans ce dossier. REVOLHT demande donc aux organes de consultation et aux personnes impliquées dans ce dossier de juger l'infrastructure destructive envisagée, quand bien même la nécessité de cette liaison serait avérée. Que cette nécessité soit absolue n'implique pas que l'infrastructure soit appropriée : des alternatives existent, des solutions sont déjà là, discutées autour de certaines tables. Contre le simplisme et la politique des raccourcis, ayons le courage des solutions complexes (systema), pour un projet de société acceptable.

Au fond, le dossier Boucle du Hainaut, dans cette version contestée, est un signe de plus du process de rustinisation que cultive notre société qui, confrontée à ses limites et à des phases de saturation, mise sur des infrastructures venant soulager temporairement l'étranglement. Parfois, des interventions cosmétiques qui n'ont d'écologique que l'intention marketing prétendent compenser l'environnement détruit (Elia Life, par exemple). Rustine par rustine, cette logique incapable de repenser le modèle de façon globale et systémique dégrade les milieux dans lesquels humains et non-humains auront à vivre. Cette perception que les besoins en énergie « verte » justifient la dégradation des cadres de vie participe de l'illusion de l'innovation salvatrice. Cette confiance aveugle dans les effets de la technologie s'enracine dans l'utopie de la modernité. Certes, de nombreuses avancées justifient en partie la vision optimiste largement répandue. Mais dès lors que l'on prend en compte non pas les effets mais les « impacts » des innovations high techs sur l'environnement à travers l'utilisation qui en est faite et les dérives consuméristes associées (réchauffement climatique, pollution des sols, des rivières, et de l'air, destruction massive de la biodiversité, acidification des océans...), il n'est pas raisonnable de croire que l'innovation sauvera la société humaine dans les temps nécessaires.

Il faut par ailleurs compter sur l' « effet rebond » : si une innovation permet un gain d'énergie ou de ressources pour une technologie donnée, la consommation de cette technologie va augmenter de manière systématique, compensant les conséquences positives attendues.

Nous encourageons à ce titre la perspective écomoderniste qui mise sur le développement de technologies permettant de découpler les impacts anthropiques du monde naturel, en séparant par exemple la prospérité économique de la consommation des ressources et d'énergie. Aussi ne nous passerons-nous pas d'artifices, de techniques et de prothèses pour autant qu'ils soient non-destructifs.

Répondre aux exigences de confort de notre société tout en étant respectueux de l'environnement est un défi pour les chercheurs, ingénieurs, décideurs, etc. Mais ceci implique d'ouvrir davantage l'esprit, de penser « en relation », de mettre la créativité au service d'un bien qui soit vraiment commun, et d'oser se mesurer, entre autres, aux logiques consuméristes. Impossible, se dit-on. Et pourtant, à défaut d’une volonté ou d’une aptitude à la sobriété, valeur morale positive permettant à l’individu de rester pleinement en capacité d’agir et d’être maître de ses actions, par l’autolimitation d’un désir trop puissant (la sobriété est un modèle de développement refusé par la plupart), il faut à l’humain une mesure d’équilibre qui soit à la fois pratique, réaliste, viable et enviable, au risque de manquer à son projet : la soutenabilité.

Arrêtons-là ces quelques lignes, qui pourront sembler vaines. Elles sont au contraire, pensons-nous, la condition nécessaire au changement. Il nous faut des mots pour dire le projet, autant que des gestes, des propositions et des actions pour résister au simplisme ordinaire et dégradant. L'enjeu est celui-ci : assurer un avenir désirable. Il nous faut rendre ce monde autrement excitant. D'une intelligence et d'une sensibilité qui stimulent et déterminent de nouveaux horizons. Il faut cultiver l'enthousiasme – élément moteur d'un élan nommé REVOLHT ; c'est-à-dire, littéralement, cette exaltation de l'âme et des facultés, cette inspiration qui éveille, ravive, passionne, insuffle à l'expérience de la vie des volontés et des idées neuves capables d'enrayer la sclérose de l'imagination, au bénéfice d'un paysage fertile qui soit la condition de notre existence autant que son projet.